Le français, langue exotique ?



La langue française est une femme. 
Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, 
si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, 
familière, folle, sage, qu’on l’aime de toute son âme, 
et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle.
Anatole France.

On m’a proposé de faire une rédaction ayant pour thème “Le français, langue exotique?”, thème qui m’a amené à me poser cette question : quelle est la définition de l’adjectif “exotique”? Pardonnez ma limite étymologique. Je symbolisais l’exotisme telle une carte postale montrant une plage entourée de cocotiers, des vagues balayant élégamment le sable blanc, où l’on peut même sentir la chaleur nous invitant à venir bronzer face à cette mer paradisiaque. Néanmoins, la France, pays où le froid est rude, tout l’hiver, voire même pendant d’autres saisons, avec souvent des températures inférieures à 15°, ne se rapporte pas du tout à mon image du mot exotique. Ou peut-être pourrait-on définir “exotique” comme la beauté, la séduction, l’originalité, notions que je peux inclure dans la citation d’Anatole France, mentionnée en épigraphe.

Par la suite, j’ai pris un dictionnaire dans ma bibliothèque et j’ai trouvé cette définition :
“Qualification donnée aux animaux et aux végétaux étrangers au climat dans lequel on les transporte (comme sont en France le lama et le dattier, etc.). Qui se rapporte à des pays lointains : la littérature exotique, ANT. Indigène.“ (Nouveau Petit Larousse Illustre, 1952)
Ayant besoin de plusieurs références, j’ai continué ma petite enquête sur internet et j’ai trouvé cette définition :
Adj. En parlant de personnes ou de choses envisagées par référence. au pays ou à la culture propresdu locuteur) Qui est relatif, qui appartient à un pays étranger, généralement lointain ou peu connu; qui a un caractère naturellement original dû à sa provenance.  
Je peux donc en déduire que le français est une langue exotique, en tout cas de mon point de vue. Il y a 13 ans, j’ai choisi la langue française pour mes études à l’université à Jakarta pour la simple raison que j’aimais beaucoup apprendre les langues étrangères, et également parce que le français est une des langues les plus parlées au monde. En outre, la France et son style, le mode de vie de ses habitants et sa réputation dans le monde la mode m’intriguaient. A ce moment-là, je n’imaginais pas que je poserais mes pieds sur cette terre lointaine, mais je pensais que la France était un pays magnifique et que je ne pourrais que maîtriser sa langue si distincte.

Dans la classe, un des premiers défis lancés par les professeurs était de s’exercer à la prononciation. Ce qui m’a le plus marqué était d’apprendre à prononcer la lettre R. En Indonésie, nous prononçons le R de manière roulée, avec la langue qui vibre, tandis que les français produisent le son en contractant la gorge. C’est rigolo de vous l’avouer, mais je me suis fait mal à la gorge en pratiquant la prononciation du R pendant des heures chez moi. Je me souviens aussi de l’exercice de la prononciation du son “ch”, avec des phrases à réciter telles que : “Un chasseur sachant chasser chasse sans son chien”. Nous avons beaucoup rigolé car nous prononcions souvent mal les mots. 

L’apprentissage du français était pour moi comme un jeu de stratégie. Quand j’étais à l’école, je n’étais pas fana des mathématiques, néanmoins, pour moi, la grammaire est comme une série de formules d’algèbre, mais en version plus amusante. Etonnamment, j’ai adoré la grammaire du français. Cette langue est logique mais contient pourtant des pièges ou alors des “exceptions”, si vous préférez. Parfois, j’étais sûre d’une chose en français ; je ne réalisais que plus tard que j’avais commis une erreur. Un exemple resté gravé dans ma mémoire est lorsqu’une fois, j’ai vu un panneau où il était indiqué “Bienvenue en gare“. J’ai tout de suite réagi et dit à un français que la bonne phrase devrait être “Bienvenue à la gare“ ! De mon apprentissage en licence, je savais que l’article “en“ est à mettre devant des pays féminins. Pour des noms féminins, on utilise “à la“. Je savais que je discutais en vain avec cet interlocuteur et il m’a affirmé que ce panneau était bien écrit sans toutefois pouvoir m’en dire plus. Je n’ai eu comme explication qu’un “c’est comme ça“.

A un niveau plus élevé de mes études, j’ai eu des cours de littérature où le professeur nous imposait de lire des romans français classiques comme Madame Bovary de Gustave Flaubert, La Guerre des Boutons de Louis Pergaud, ou Les Misérables de Victor Hugo. C’est à partir de ce moment-là que la langue française, sous l’image d’une femme élégante, douce et qui incite les gens à vouloir percer le mystère de sa beauté exotique, est devenue une dame exigeante, très intelligente et où l’on se rend compte qu’elle a besoin d’égalité si on veut se rapprocher d’elle. J’étais loin d’être la meilleure élève dans les cours de littérature, mais en général, j’étais satisfaite de mon choix.

Après avoir été diplômée, j’ai poursuivi ma passion pour cette langue en enseignant dans quelques institutions à Jakarta. Puis, j’ai eu la chance de pouvoir continuer mes études en France, en 2013, grâce à une bourse. Je me souviens que j’étais toute excitée lors de mon premier cours. Mais le grand sourire, cloué sur mon visage quand j’ai dit bonjour à mon professeur et à mes camarades de classe à l’université de la Sorbonne, s’est vite décomposé et a rapidement fait place à un froncement des sourcils. Je me suis dit : “tu t’immerges dans cette langue pendant 9 ans, tu as même enseigné le français. Mais là, dans une classe de Master, tu ne comprends presque rien ! Quelle catastrophe !“ De plus, j’étais stressée par les conversations de plusieurs personnes en même temps. Le fait qu’ils parlaient trop rapidement et que chaque personne intervenait pour donner son avis, j’ai compris seulement après que mes commentaires n’intéressaient personne car tout le monde avait déjà changé de sujet. D’ailleurs je valide le fait qu’apprendre une langue dans le pays où elle est parlée est la meilleure façon de la maîtriser. Grâce aux contacts avec les français, je connais quelques expressions intéressantes que je n’avais jamais entendu lors de mon enseignement formel du français, mais qui se disent pourtant souvent, et me suis déjà mise à les appliquer dans des conversations comme : chiche, les doigts dans le nez, tomber dans les pommes, avoir un coup de barre, et pleins d’autres.

J’aimerais reprendre une phrase dite par une femme de lettres française, Colette :
“C’est une langue bien difficile que le français. A peine écrit-on depuis quarante-cinq ans qu’on commence à s’en apercevoir. “

J’ai l’impression que, plus je me cultive en langue française, plus je réalise sa complexité. Actuellement je réside en France et cela me permet de mieux connaitre cette femme qui est très fière d’elle-même, qui possède toujours de nouvelles découvertes à chaque fois qu’on a l’attention de la comprendre. A ce jour, je l’aperçois moins étrange qu’avant car j’ai l’habitude de la parler, de lui parler, mais pour moi elle n’arrêtera jamais de me sublimer et je la trouve aussi exotique qu’avant, la langue française.

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